Dayereh
Histoire de la création de Dayereh – Le cercle
1er Novembre 2020
Entre hier et aujourd’hui, broderie, effilochage et coquillages.
Jusque là, chaque fois que j’ai voulu la terminer, l’inspiration ne venait pas, je n’en avais pas vraiment envie. Alors elle est restée dans un coin de mon atelier, à attendre. J’y pensais souvent, j’ai même tenté de me forcer parce que je voulais qu’elle, et tout ce qu’elle représente pour moi, soit terminée. Mais ça ne venait pas…
Et puis hier, c’était clair, je l’ai reprise et tout s’est fait naturellement.
Je l’ai initiée il y a quelques mois après être tombée sur un passage d’un livre qui m’accompagne depuis quelques temps, que je lis par petites touches, en l’ouvrant au hasard, et qui tombe à chaque fois tellement juste : “Femmes qui courent avec les loups – Histoires et mythes de l’archétype de la femme sauvage ” de Clarissa Pinkola Estés : Le chapitre sur les descansos, que je partage un peu plus bas.
Ce livre s’adresse aux femmes, mais ce concept de descansos s’adresse à tous. Chaque être ayant vécu des deuils, réels ou symboliques. Un rituel qui permet d’accompagner un, des deuil(s) , de raconter pour soi, avec ses propres mots, ici à travers le textile, le papier, le fil et les perles…chaque élément portant son propre bout d’histoire.
Une renaissance après la mort.
Le cycle de la Vie : Dayereh- Le cercle.
Dayereh et descansos
Extrait du chapitre sur les descansos
“Nous souhaitons donc transformer la colère en un feu de cuisson plutôt qu’en un feu de déflagration. Nous avons vu que, sans le rituel du pardon, le travail de la rage n’est pas achevé. Nous avons également dit que la rage féminine a souvent pour origine une situation familiale, la culture environnante, et parfois un trauma survenu à l’âge adulte. Mais quelle que soit la source de cette rage, il faut que quelque chose permette de la reconnaître, de la bénir, de la contenir et de la libérer. (…)
Je voudrais vous présenter le concept de descansos. Si vous connaissez le Mexique, le Nouveau-Mexique, le sud du Colorado, l’Arizona ou certaines parties du Sud des Etats-Unis, vous avez pu voir, sur le bord des routes, des petites croix blanches. Ce sont des descansos, des lieux de repos. On les trouve aussi au bord des falaises, sur certaines routes panoramiques, mais dangereuses de la Grèce, de l’Italie, et autres pays méditerranéens. Parfois, ces croix sont regroupées par deux ou trois. Des noms sont gravés ou inscrits sur le bois, parfois avec des clous, des noms (…), parfois peints, parfois gravés dans le bois, parfois dessinés avec des clous.
Ces descansos sont souvent recouverts à profusion de fleurs, naturelles ou artificielles, ou bien de la paille fraîchement coupée est collée sur les montants et les fait briller comme de l’or au soleil. Il arrive que le descanso consiste juste en deux bâtons ou deux bouts de tuyau liés l’un à l’autre et plantés dans le sol. Dans les passes des montagnes Rocheuses, la croix est juste peinte sur un gros rocher sur le bord de la route.
Les descansos sont des symboles qui marquent une mort. A cet endroit même, le voyage terrestre d’une personne s’est brusquement arrêté. Il y a eu un accident de voiture, ou une bagarre, ou bien quelqu’un est mort d’insolation en marchant sur la route. Quelque chose s’est passé là, qui a mis un terme à une existence et marqué à jamais d’autres personnes.
Avant d’avoir vingt ans, les femmes ont connu mille morts. Elles sont parties dans telle ou telle direction et on leur a coupé la route, comme on a coupé les ailes à certains de leurs espoirs et de leurs rêves. Tout ceci, c’est du grain à moudre pour le moulin des descansos.
Tout ceci approfondit sans aucun doute l’individuation, la différenciation, le passage à l’âge adulte, le développement, l’épanouissement de l’être, l’éveil de la conscience, mais il s’agit aussi de véritables tragédies qui doivent être pleurées en tant que telles.
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Fabriquer des descansos, c’est jeter un regard à sa propre existence et marquer les endroits où ont eu lieu les petites morts, las muertas chiquitas, et les grandes morts, las muertas grandotas. J’aime bien établir la carte chronologique d’une femme sur une grande feuille de papier et marquer d’une croix les lieux ù, entre l’enfance et le moment présent, des parties d’elle-même et de son existence sont mortes. Nous marquons ainsi les endroits où des routes n’ont pas été empruntées, où d’autres ont été barrées, les lieux des embuscades, des trahisons, des morts. Je place une petite croix là où il aurait fallu pleurer, d’autres là où le deuil reste à faire. Puis j’inscris à l’arrière-plan “oubliée” pour ces choses que la femme sent, mais qui n’ont pas encore fait surface, et “pardonnée” pour celles qu’elle a libérées en grande partie.
Je ne saurais trop vous encourager à faire des descansos, à établir une carte chronologique de votre propre vie en vous demandant : “Où sont les petites croix? Où sont les lieux dont il faut se souvenir, qui doivent être bénis ?” Tous ont des significations, que vous avez apporté à votre vie actuelle. Il faut vous les remémorer et les oublier en même temps. Cela prend du temps. Et de la patience.
Souvenez-vous, dans ‘L’Ours au Croissant de Lune’, la femme dit une prière et permet aux âmes orphelines des morts de reposer en paix. C’est ce que l’on fait avec les descansos. Les descansos, c’est une pratique consciente qui prend en pitié et honore les morts orphelins de notre psyché et leur permet enfin de reposer en paix. Créez-en pour les aspects de vous-même qui étaient en route vers quelque part et ne sont jamais arrivés. Ce sont des lieux funéraires, mais aussi des mots d’amour à votre souffrance. Ils sont des agents de transformation.”
Femmes qui courent avec les loups
Histoires et mythes de l’archétype de la femme sauvage
Clarissa Pinkola Estés